
©JeuneTogo – (Lomé, le 16 février 2024) – Après que Dédé Rose Creppy, la dernière Nana Benz de la première génération, nous a quittés en juin dernier, un musée en l’honneur des légendaires grossistes devrait bientôt ouvrir ses portes.
Les Nana Benz de Lomé, catégorie particulière parmi les commerçants togolais, représentent indéniablement une composante de la « classe moyenne ». Cette bourgeoisie, enrichie dans le commerce du tissu imprimé, rappelle à bien des égards les marchands drapiers qui ont prospéré au Moyen Âge en Occident. Elles incarnent la bourgeoisie d’affaires dans son sens historique, car elles sont implantées en villes et se sont spécialisées dans le commerce.
Tout le monde connaît leur histoire : les dames du grand marché de Lomé ont dominé la revente du pagne hollandais dans les années 60 à 80 et sont ainsi devenues très riches. Mais que nous montre leur histoire ? Et quelle est leur importance pour le Togo ?
Les Nana Benz ne devaient leur ascension sans précédent dans le commerce des tissus qu’à elles-mêmes. Alors que de nombreux hommes avaient abandonné le commerce pour des postes dans la nouvelle administration publique, jugés plus rentables, ce sont elles qui ont pris l’initiative de relancer le commerce du wax hollandais en Afrique de l’Ouest au début des années 70.
Les tissus populaires ayant presque entièrement disparu du marché les années précédentes en raison des taxes d’importation élevées imposées par le Ghana, certaines femmes togolaises – dont Dédé Rose Creppy – ont flairé l’opportunité de s’adresser directement aux maisons de commerce étranger établi au Togo et de leur proposer un marché : elles se chargeraient de la vente et de la commercialisation de leurs produits et obtiendraient en contrepartie le droit exclusif de les revendre.
C’est ainsi que Lomé est devenue la plaque tournante du commerce du pagne hollandais et que le commerce de gros, en principe réservé aux hommes, a été conquis par quelques femmes. Des femmes dont les empires commerciaux se sont rapidement développées et qui ont depuis dominé l’ensemble du secteur économique, aujourd’hui perpétué par leurs filles et petites-filles, dont elles ont elles-mêmes assuré le bien-être et l’éducation.
L’histoire est celle de l’émancipation de la femme dans le plus grand style possible, car : Ces dames n’ont pas seulement réussi à se rendre indépendantes financièrement et socialement par leurs propres moyens, mais elles ont également fait progresser l’économie du pays tout entier. Leurs affaires représentaient 40 % du produit intérieur brut dans les années 80. Cela laisse évidemment des traces dans la conscience collective de la société. Et fonde son mythe.
Aujourd’hui, quand on demande aux femmes du marché de parler des Nana Benz, chacune a quelque chose à dire. Et chacune en vient à dire qu’il s’agissait de femmes puissantes et dynamiques qui ont fait beaucoup pour les femmes et pour le pays :
« Elles ont réfuté les préjugés contre les femmes et ont défié la répartition traditionnelle des rôles en montrant qu’elles aussi peuvent faire toutes les choses qui étaient réservées aux hommes », a déclaré une vendeuse de tissus au marché Château de Kaplimé. Une autre a constaté : « Leur histoire me motive et je voudrais être comme elles ».
Son mythe est également repris dans la littérature, le théâtre et la musique : Que ce soit dans le livre « Nana Benz – parcours de vie » de Mme Dalé Hélène Labitey, professeur d’université et petite-fille de Nana Benz Da Kayi Ganganto, la pièce de théâtre « Si tu sors, je sors », créée en 2016 par Gustave Akakpo et Marc Agbédjidji, ou sous la forme du groupe « Nana Benz du Togo », qui a fait une tournée en France l’année dernière avec son premier album « Ago ».
Ses textes, chantés en mina, en français et en anglais, tournent principalement autour d’un thème : l’autonomisation des femmes. Par exemple, dans la chanson « Liberty », entièrement chantée en anglais : « I want to be myself, I want – Liberty – I want to be a president, I want – Liberty – i want to take my own decision, I want – Liberty – I want to have my own opinion ».
Dans le même temps, la réalité sociale des femmes est critiquée, celles-ci étant empêchées d’aspirer précisément à l’individualité et à l’indépendance : « Some say don’t go to school, don’t get the job, stay at home, they say don’t think a lot ».
Pour les membres du groupe, les choses sont claires : « Si vous ne respectez pas les femmes, vous ne respectez pas la nature. C’est elle qui nous nourrit. C’est elle qui nous vêtit. La nature est la mère de tous les hommes ».
Avec leur musique, elles veulent sensibiliser la société au fait que les femmes devraient elles aussi pouvoir se réaliser et aspirer à leurs objectifs. En même temps, elles veulent s’adresser directement aux jeunes femmes et les encourager à faire exactement cela.
L’héritage de Nana Benz de Lomé est donc plus vivant que jamais. La génération actuelle, hommes et femmes, est assise sur ses larges épaules. Elles sont les championnes et le symbole lumineux de celles qui disent aujourd’hui : « Nous ne sommes pas là pour vous plaire, ni même pour vous servir, non. Nous avons nos droits et nous voulons que vous les respectiez – Si tu sors, je sors ».
Après tout ce que nous avons appris de l’histoire de Nana Benz, cela ne peut être que bénéfique pour tous.
Joram (Stagiaire)
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